Une histoire d’écureuil

Fourrure de feu, moustaches frémissantes, petits yeux noirs brillants, oreilles terminées par de longs pinceaux de poils. Vous l’aurez reconnu, nous parlons de l’écureuil roux.

Avec sa silhouette fine et élancée et sa queue touffue aussi longue que son corps, l’écureuil nous est familier. Il réjouit par son agilité, sa beauté, sa grâce, car dans le vaste tableau forestier que compose la nature, l’écureuil roux est un virtuose des hauteurs.

 

Petite présentation

 

L’écureuil roux est un rongeur qui fait partie de la famille des sciuridés, aux côtés des marmottes et des sousliks. C’est le plus gros des rongeurs forestiers présents en France, avec un poids moyen de 250/400g environ.

Fait exceptionnel pour un rongeur, il est entièrement diurne, c’est-à-dire qu’il vit le jour et dors la nuit. Il tire son nom grec et latin (Sciurus vulgaris) de sa queue (gr sciouros, « celui qui se met à l’ombre de sa queue »).

C’est la seule espèce présente originellement dans nos contrées et on le trouve dans toute l’Europe jusqu’aux confins de l’Asie, sur l’île de Hokkaido au Japon (excepté en Sicile, Sardaigne, sud ouest de l’Espagne et Portugal, Islande, Grèce et localement en Angleterre où il a disparu. Plus de 40 sous espèces ont été décrites par le passé mais il existe, du point de vue génétique, une très grande homogénéité de l’espèce). Plusieurs espèces importées dans les années 1960 comme animaux d’agréments se rencontrent aussi désormais : l’écureuil de Corée (2 espèces du genre Tamia, originaire d’Asie), l’écureuil gris (Sciurus carolinensis, originaire d’Amérique du nord), l’écureuil de Pallas (Callosciurus erythraeus, originaire d’Asie). Tous causent une pression localement intense sur les populations d’écureuils roux.

Il est très difficile de différencier mâles et femelles au premier coup d’œil. Ils ont sensiblement la même taille et la même couleur. Couleur qui peut naturellement varier du roux-gris au grisnoir, ce qui l’amène parfois à le confondre avec l’écureuil gris (qui lui n’a pas de pinceaux de poils sur les oreilles). Son ventre est toujours blanc, cela permet de le différencier de l’écureuil de Pallas. On peut noter que les individus foncés se rencontrent plutôt en montagne (ils peuvent vivre jusqu’à 2000 m d’altitude), et les roux plutôt en plaine.

 

Un mammifère arboricole

 

C’est un animal dont l’existence est intimement liée à celle des arbres. Il est surtout inféodé aux forêts de conifères et aux forêts mixtes (avec conifères et feuillus). Il est ainsi bien présent dans les forêts boréales d’Europe septentrionale et de Sibérie, et dans les forêts montagnardes d’Europe plus méridionale, mais aussi dans les plantations sylvicoles de résineux. Il peuple également les forêts de feuillus de plus basse altitude, mais avec des densités de population beaucoup plus faible car il en exploite moins bien les principales ressources, notamment les glands des chênes qu’il assimile mal et qu’il consomme donc très peu. De manière opportuniste, il habite les agglomérations urbaines, notamment les parcs boisés, où il est souvent nourri par les humains. Il peut alors atteindre des densités plus importantes que naturellement à l’état sauvage.

 

Bien qu’il descende souvent à terre pour chercher ou enterrer de la nourriture, c’est dans les arbres matures que l’écureuil est maître. Il y bondit des extrémités des branches les plus fines, caracole d’un arbre à l’autre, se suspend habilement la tête en bas aux troncs rugueux.

 

C’est dans les branches à mi-hauteur qu’il y construit ses nids, où il passera la nuit, la saison froide et les journées de mauvais temps. S’il y a une chose que l’écureuil n’apprécie pas, ce sont les périodes de forts vents. Il ne sortira alors pas de sa cachette, parfois pendant plusieurs jours.

On peut le comprendre, pour un acrobate de précision comme lui.

 

Il possède un nid principal agrémenté de plusieurs nids secon-daires, de formes rondes (d’un diamètre d’environ 50 cm) fabriquées de lanières d’écorce, de branchages, et dont l’intérieur est tapissé de mousses, de feuilles et d’herbe. Il va fréquenter plusieurs nids en parallèle, un comportement anti-prédateur. Il arrive également qu’il s’installe dans des cavités d’arbres (anciens nids de pics) pour s’abriter, voire également pour mettre bas. Il n’est pas rare non plus d’observer des nids dans les structures des habitations, sur le rebord d’une fenêtre par exemple, dont un montant du volet est rabattu.

 

Il n’y cache pas de nourriture, ici, les chambres et salons ne sont pas des cuisines. Mésanges et roitelets utilisent d’ailleurs très souvent les nids des écureuils pour dormir. Encore une fois, on peut observer les cohabitions multiples et profitables de tous ces animaux vivants ensemble.

 

Actif toute l’année

 

Son rythme d’activité est variable selon les périodes de l’année, avec un pic principal en fin de matinée en hiver, et deux pics le reste du temps, à l’aube et avant le coucher du soleil. Ces pics sont plus prononcés en été, saison durant laquelle il est peu actif en milieu de journée, rejoignant son nid, ou somnolant sur la branche d’un arbre.

Au contraire de ses cousines les marmottes ou les tamias de Sibérie, l’écureuil roux n’hiberne pas pendant la saison froide. Il lui faut alors chercher constamment de la nourriture, ce qui n’est pas tâche aisée au cœur de l’hiver. On comprend mieux pourquoi les conifères (pins, sapins, mélèzes, épicéas) qui produisent des graines très riches en énergie sont si appréciés et vitaux pour l’écureuil (en hiver, il peut avoir besoin d’écailler jusqu’à 100 cônes d’épicéas par jour !).

Ce qui nous amène à son régime alimentaire : l’écureuil roux est un omnivore opportuniste. Il consomme les graines contenues dans les cônes des conifères, qu’il décortique efficacement en arrachant chaque écaille en faisant tourner le cône entre ses mains, soit d’un côté, soit de l’autre. Il mange aussi des noix, des noisettes, des faines, des châtaignes, des bourgeons (notamment en fin d’hiver et début de printemps), des fleurs d’arbres, des graines d’arbres précoces ou encore vertes (ormes, frênes, érables, tilleuls, charme, etc.), quelques baies et fruits à pulpe. Il peut aussi écorcer des branches afin de lécher la sève (ce qui lui a valu l’inimitié de certains forestiers, bien que la densité d’écureuil soit si faible que les « dégâts » le soient aussi). Il peut également consommer une quantité assez importante de champignons, au sol et sous forme de mycélium dans le sol (qui peut constituer jusqu’à 80 % de ses déjections, et qui peut aussi expliquer la bonne germination des graines qu’il enterre). De manière générale, ces champignons contiennent en grande partie des spores non digestibles par l’écureuil et sont donc peu nutritifs, mais ils sont abondants et facilement détectables pour l’odorat de l’écureuil.

Très occasionnellement, il peut consommer des insectes, des œufs et des jeunes oiseaux encore au nid.

 

Ce n’est pas un mythe, l’écureuil est prévoyant pour l’hiver. Fait bien connu des adages populaires, l’écureuil enterre un nombre considérable de graines (chaque écureuil enterre ainsi des milliers de fruits à coques) pour constituer ses réserves hivernales, où la disponibilité en nourriture se fait nulle ou très réduite. Grâce à son flair extraordinaire, il pourra ainsi les retrouver, même sous une épaisse couche de neige. Ces cachettes vont également constituer de bons gardes manger pour d’autres animaux, comme des oiseaux (les casse noix ou les pics par exemple) qui, l’observant de loin, iront les piller tranquillement un peu plus tard. Les écureuils jouent ainsi un rôle fondamental dans la dissémination des graines des arbres, assurant des conditions de germination optimales, et en fournissant des ressources alimentaires disponibles pour d’autres animaux.

L’idée cependant que les écureuils, comme les geais des chênes « oublient » où ils ont caché leurs réserves me semble bien loin des réalités de ces animaux, et une simplification bien humaine des choses.

 

Une brève histoire de famille

 

Les écureuils roux sont de nature plutôt solitaire. Les densités de popula-tions sont faibles (variant de 0,5 à 1,5 ind./ha selon les années dans les forêts de conifères). Il ne perd son caractère solitaire que lors des périodes de reproduction, où lorsque les ressources alimentaires sont très abon-dantes, comme dans les parcs. Il fréquente un secteur appelé domaine vi-tal où les individus cohabitent. Sa superficie varie en fonction du type d’habitat, de la distribution de la nourriture, selon les saisons et du sexe des individus : entre 2 et 20 ha généralement pour les femelles et entre 5 et 30 ha pour les mâles. Le domaine vital des mâles, plus important en période de reproduction, couvre ceux de plusieurs femelles.

Deux pics de reproduction sont observés, l’un en hiver (décembre à jan-vier) et le second au printemps. Selon leur condition physique et les disponibilités en nourriture, les femelles écureuils feront 1 ou 2 portées par an. Après une gestation de 38 à 40 jours environ, elles mettront bas de 3 à 4 petits en moyenne, entre février et avril et entre mai et août. Les femelles allaitent leurs petits environ 2 mois. Face à une menace, elle transporte ses petits, un par un, dans un autre nid. Les mâles n’interviennent pas dans l’élevage des jeunes et quittent le nid « commun » dès la naissance.

Les jeunes demeurent quelques mois à proximité de leur nid de naissance, puis se dispersent pour trouver un secteur propice à leur installation. Les distances par-courues se font en fonction du sexe des individus, des densités et surtout des res-sources disponibles.

On estime à 80% environ le taux de mortalité des jeunes écureuils lors de la première année.

On observe des variations importantes des populations d ‘écureuils d’une année à l’autre. Cela s’explique par plu-sieurs facteurs. La disponibilité en nourriture premièrement, les arbres ont tendances à avoir des sortes de cycles de fructifications, 7 I Newsletter Printemps 2024 s’étalant sur plusieurs années, chaque espèce ayant la sienne (cela veut dire que naturellement, les arbres n’ont pas la même densité de fructification chaque année, mais tous les deux, trois, quatre ou cinq ans par exemple). Les écureuils étant totalement dépendants des fructifications des arbres pour survivre et étant sen-sible aux variations du climats, cela explique en partie ces variations. Une mauvaise année où les arbres ont une fructification faible verra alors un fort taux de mortalité.

Ajouté à cela, on observe une réduction de la reproduction des femelles lors-que les ressources sont peu abondantes, ou au contraire lorsque les densités de populations augmentent (effet densitédépendant). Cela est notamment à l’ori-gine de l’absence de pullulation chez cette espèce lors des bonnes années.

 

Prédateurs et menaces

 

Le plus grand prédateur naturel de l’écureuil roux est la martre des pins. Les rapaces diurnes comme l’épervier et l’autour des palombes, les pies, le chat sauvage sont également des prédateurs.

Le chien et le chat domestique provoquent des mortalités importantes dans les portées d’écureuils.

En France, comme dans le reste de l’Europe, la collision sur les routes est un facteur important de mortalité de l’écureuil roux. La fragmentation de ses habitats contribue à augmenter ce risque de mortalité. L’espèce, amenée à se déplacer pour assurer ses besoins en nourriture ou de reproduction, doit faire face à l’augmentation incessante de la circulation. Les écureuils ne sont pas rapides au sol, se déplaçant en petits bonds, il est rare qu’ils arrivent à éviter les voitures. De plus, les îlots forestiers de plus en plus entourés de routes ou de champs isolent les populations entre elles.

La chasse et le braconnage ont été une cause de régression ou de disparition locale au début du XXe siècle (on l’accusait de manger les œufs dans les nids). L’écureuil roux n’est pas considéré comme une espèce menacée, mais ses effectifs de populations baissent un peu plus chaque année. Il est désormais classé comme espèce protégée.

D’autre part, la gestion sylvicole intensive (et une forte régression du bois mort et du bocage) diminue le nombre d’espèces et la disponibilité des champignons pouvant affaiblir certaines populations d’écureuils en les privant d’une source importante de nourriture (notamment en hiver).

Des arbres de plus en plus jeunes, qui ne fructifient encore peu ou pas, des coupes importantes d’arbres plus matures, des coupes rases sont autant de facteurs préjudiciables pour l’écureuil, qui a besoin d’arbres en pleine capacité de reproduction pour survivre et des forêts matures pour y trouver les ressources nécessaires.

L’écureuil est aussi menacé par la pollution (y compris via les champignons qu’il consomme et qui concentrent certains polluants). Dans les zones pauvres et acides, l’écureuil roux ronge fréquemment des os de mammifères, ou des bois de cervidés (il pourrait trouver là une source supplémentaire de calcium. Le problème est que les mammifères stockent dans leurs os environ 80 % du plomb qu’ils accumulent dans leur vie, ainsi que certains radionucléides ou d’autres polluants). Or des quantités parfois très importantes de plomb de chasse ou de plomb de guerre se sont accumulées dans certains écosystèmes forestiers.

L’écureuil est comme beaucoup d’animaux très sensible aux maladies et parasitoses lorsqu’il est affaibli ou mal nourri, ce qui expliquerait, comme nous l’avons vu précédemment que ses densités augmentent les années où la production de glands, noisettes ou cônes est importante alors qu’il régresse les années de disette (avec chute du nombre de petits quand la nourriture manque). Nous pouvons ajouter à cela des compétitions alimentaires là où des espèces introduites d’écureuils se sont implantées, c’est le cas notamment en Angleterre et la majeure partie de l’Irlande avec l’écureuil gris. L’écureuil gris est beaucoup plus adapté aux forêts de feuillus que l’écureuil roux, et a tout simplement fait disparaître l’écureuil roux. Il est aussi porteur sain d’une maladie, qui affecte les populations d’écureuil roux. L’écureuil gris se répand aussi en Italie, et on peut s’attendre à ce que les Alpes soient franchies prochainement. Il en de même avec l’écureuil de Pallas dans certaines régions du sud de la France comme les Alpes-Maritimes, où l’écureuil roux n’est plus observé.

 

L’observer

 

Difficile de résumer la vie entière d’un animal sur quelques pages de papier. Pour mieux connaître les écureuils, il convient d’aller les observer en nature tout simplement. Dans un environnement adéquat, il est relativement facile d’observer des écureuils. Des indices de leur présence pour commencer, pourront nous indiquer si nous somme sur la bonne piste : des amas de copeaux de pommes de pins aux sols, ainsi que des cônes partiellement rongés en quantité : un écureuil à manger sur une branche audessus. Des noisettes fendues en deux : un écureuil est passé par là. En s’arrêtant quelques minutes en silence et en écoutant la musique de la forêt, on peut alors entendre des petites dents ronger une noix ou une noisette, des griffes tourner autour d’un tronc, en levant les yeux, une petite touffe rousse vaque à proximité. Les écureuils ne sont pas particulièrement farouches. D’ailleurs, quiconque a déjà passé du temps en forêt s’est sûrement déjà fait vertement houspiller par un écureuil. Ils ne sont en général pas avares de « compliments » au sujet de votre présence.

Mais s’ils ne sont pas dérangés, vous pourrez les observer dans les différentes phases de leur vie avec une grande joie.

 

Que faire si on trouve un écureuil ?

 

Les écureuils vivants de plus en plus fréquemment à proximité des humains (ou plutôt les humains vivant de plus en plus fréquemment dans les anciennes zones forestières), il est de plus en plus fréquent de croiser des écureuils en détresse, surtout des petits.

Premièrement, en cas de forte chaleur, veillez à toujours disposer de coupelles avec de l’eau propre à disposition des animaux, et le plus possible hors d’atteinte des chats.

Une forte tempête ou l’intervention de l’homme (élagage, coupe de bois...), peut entraîner la chute du nid et ainsi des jeunes en période de reproduction. La femelle dispose de nids secondaires dans lesquels elle peut transporter ses petits en cas de problèmes et elle le fait assez régulièrement. Cependant, en cas de chute du nid, les petits à terre seront à la merci de prédateurs (chien, chat, renard, pie, corneille noire…), en particulier à proximité des habitations.

Par méconnaissance des moeurs de l’écureuil roux, le premier réflexe sera généralement de recueillir cet animal et d’essayer de le sauver.

Dans la mesure du possible, essayer de replacer le nid dans un arbre proche si cela est réalisable, ou en mettant les jeunes hors d’atteinte des prédateurs. Dans la plupart des cas, la femelle viendra les chercher et les installera dans un nid de sauvegarde.

Si, en soirée, la femelle n’est pas intervenue, il pourrait alors être possible de les recueillir. Cette opération est fastidieuse, car ils auront besoin de beaucoup de soins, notamment la nécessité de les alimenter très régulièrement, toutes les deux heures environ, et de les maintenir au chaud (la température interne des écureuils est de 39 degrés). Élever à la main un animal sauvage est un engagement sur le long terme. Les animaux ainsi imprégnés ne seront pas armés face au défi de la vie en nature. Chercher le centre de soin de la faune sauvage le plus proche est encore la meilleure solution.

 

(Toutefois, rappelons la loi : il est formellement interdit de détenir des écureuils roux en captivité, l’espèce étant protégée. Espèce intégralement protégée (Protection nationale de l’espèce et de son habitat (arrêté du 23 avril 2007 publié le 10 mai 2007) Article L.411-1 du Code de l’Environnement).

 

Souhaitons une vie prospère à l’écureuil roux, et continuons de protéger intégralement les forêts matures dans lesquelles il évolue.

 

Florelle Antoine