La fin de l'hiver annonce la migration des amphibiens.
Chaque début d'année, crapauds, grenouilles, tritons et salamandres se préparent à quitter les forêts où ils ont passé l’hiver à l’abri du froid, terrés au fond d’un trou, sous les feuilles, sous un tas de bois, sous la vase...
Selon les températures, c'est de fin janvier à mars environ que tous ces petits animaux entreprennent leur première migration. Cette période sonne le début d’un grand voyage, à destination des mares, plans d’eau, zone humides, bras morts de rivières, talus, ornières...Cette grande migration correspond à leur période d’accouplement. Car tous ces animaux de la famille des amphibiens ont besoin de pondre en milieu aquatique. Une deuxième phase de migration aura lieu en fin d'automne, afin de quitter les zones estivales et regagner les quartiers d’hivernage (une partie des amphibiens migrant déjà en fin d'automne vers les quartiers de reproductions).
Avant de se pencher un petit plus en détail sur ce moment-là de leur vie, apprenons à mieux les connaître.
Je précise que ce texte parle de façon généralisée et non exhaustive du mode de vie « des amphibiens », car chaque espèce à des particularités bien spécifiques.
Quelques fondements sur les amphibiens :
Grenouilles, crapauds, tritons et salamandres font amplement partie de notre folklore, et pourtant, nous ne les connaissons pas si bien que ça. On pourrait même les appeler les grands oubliés des animaux que nous côtoyons, au même titre que les reptiles et les insectes.
Tout d’abord, le mot amphibien vient du grec amphi "des deux sortes" et bios "vie". Ce sont donc des animaux qui ont une « double vie », on les appelle aussi batraciens. La majeure partie d'entre eux commencent en effet une vie larvaire aquatique, pour continuer une vie d'adulte terrestre. Tordons le cou à une idée reçue plutôt répandue : les grenouilles de chez nous ne « vivent » pas dans l'eau. Les amphibiens européens ne viennent dans l'eau que pendant les périodes de reproduction, ou une partie de l'hiver pour certaines espèces. Grenouilles, crapauds, tritons et salamandres vivent plutôt le reste du temps sur les sols recouverts de feuilles, de cavités humides etc. (il y a cependant plusieurs exceptions : quelques amphibiens sont terrestres, certaines salamandres ne passent pas par une métamorphose et deviennent sexuellement matures au stade larvaire. Certaines espèces Sud-américaines et africaines sont entièrement aquatiques, certaines pondent même leurs œufs dans des nids de mousses ou élèvent leurs larves dans des terriers humides… Mais nous allons ici nous concentrer sur les batraciens européens, que nous pouvons côtoyer en France.)
En résulte des adaptions toutes plus incroyables les unes que les autres. En rois et reines de la métamorphose, ils subissent toute sorte de transformations, passant d'une respiration branchiale sous forme de larve, au développement de poumons, leurs permettant de respirer sur la terre ferme. Alors, comment font-ils pour respirer lorsqu'ils retournent dans l'eau une fois adulte ? En développant également une respiration cutanée secondaire !
On classe ordinairement les amphibiens en deux grands groupes, au nom très joli : les anoures, et les urodèles. Anoure désigne les animaux caractérisés par l'absence de queue à l'état adulte. Ce sont donc les crapauds et les grenouilles (je ne parlerais ici que des amphibiens présents en France, de nombreuses exceptions existant à travers le monde). Les urodèles désignent les animaux qui conservent une queue a l'état adulte. Ce sont les tritons et les salamandres.
La France métropolitaine répertorie 43 espèces : 32 anoures et 13 urodèles (en incluant les espèces introduites), sur environ 6000 à l'échelle mondiale.
Un peu d'écologie :
Les amphibiens constituent un groupe animal très intéressant, d’une extraordinaire diversité et superbement bien adaptés à leurs environnements. Ce sont des animaux au déplacement nocturne, qui privilégient en général les périodes humides de pluie pour se déplacer.
Ils n'ont ni écailles, ni plumes ni poils mais une peau plus ou moins lisse, et plus ou moins humide. Ainsi, l'adage « les grenouilles ont la peau lisse et les crapauds ont des pustules » est assez représentatif.
Ce sont des vertébrés extraordinaires, vertébré veux dire qu'ils possèdent un squelette interne.
Par une série de métamorphoses, ils passent du stade d'œuf aquatique à celui d'adulte terrestre. Ils commencent donc leur existence dans l'eau. Les larves se développent, et possèdent des branchies, qui leurs permettent de respirer. Puis, en arrivant à l’âge adulte, ce sont des poumons qui prennent le relais. Il est alors possible de sortir de l'eau et de respirer sur la terre ferme ! Cela est souvent complété par la capacité de « respirer » par leur peau, perméable aux échanges gazeux. Toute cette métamorphose peut se passer très vite, en quelques semaines seulement, ou prendre plus d'un an, selon les conditions de température (en montagne par exemple).
Ce sont des animaux à « sang froid », c'est à dire que leur température corporelle dépend de celle de leur environnement. Ils craignent donc majoritairement le froid et sont sensibles au gel. Ils recherchent alors un endroit à l'abri du gel dans le sol pour passer l'hiver, en état de dormance (certaines espèces peuvent passer du temps hivernal dans l'eau, mais pas exclusivement.). En cas d'épisode de froid extrême, les animaux qui n'ont pas creusé assez profondément peuvent mourir gelé, ou s’ils se déplacent trop tôt en saison, rester bloqués dans la neige (surtout en zones montagneuses, plus froides). Cependant, plusieurs espèces d’amphibiens sont capables de survivre à un début de gel léger et lent, et ceci grâce à une sorte « d'antigel » présent dans leur organisme ! Les espèces les plus résistantes sont la salamandre tachetée et la grenouille rousse, qui peuvent supporter des températures allant jusqu’à -5°C.
Une partie des grenouilles rousses, des grenouilles vertes et de toutes les espèces de tritons, en particulier le triton crêté, passent une partie de l’hiver dans l’eau (elles peuvent être enfouies dans la vase, aux abords des étang, dans des anfractuosités de terrains ou alors complètement dans l'eau pour certaines).
Dans les petits plans d’eau sans arrivée ni sortie (étangs de jardin), il arrive souvent que les tentatives d’hivernage soient fatales : en effet, sous la glace, toute l’oxygène est consommé par
la décomposition de la matière organique, ce qui conduit à l’asphyxie des animaux.
Pour toutes ces espèces, il arrive fréquemment que les larves passent l'hiver dans l'eau, pour celles pondues tard en saison ou n'ayant pas fini leur développement. N'oublions pas que les animaux
à sang froid sont entièrement tributaires des conditions extérieures de température et d'hygrométrie.
Petit zoom sur chacun des groupes :
Les anoures :
Les grenouilles et les crapauds donc, les anoures sont essentiellement carnivores. Leur nourriture est constituée d'insectes, d'arachnides, de petits poissons, même de grenouilles plus petites... Leur langue, très gluante, peut être projetée hors de leur gueule pour capturer les proies. C'est parmi les anoures que nous rencontrons les plus grands « chanteurs », qui utilisent leurs sacs vocaux. Ces chants leurs servent notamment pour leurs parades nuptiales. Chaque espèce possédant un chant et un répertoire qui lui est propre.
Comme nous l'avons vu, les grenouilles, comme de nombreux batraciens, ont deux types de respirations : aérienne et cutanée. La respiration cutanée désigne une respiration de l’organisme à travers la peau : les échanges gazeux se font directement par cette peau couverte d'un mucus particulier, et humide. En hiver, lorsque certaines grenouilles s'enfouissent, elles ne respirent que de cette manière.
Les grenouilles pondent des œufs qui sont des sortes de ronds gélatineux, en grosses masses gluantes. On peut observer à l’intérieur le début de développement des têtards. Ils passent d'un petit point noir, à une sorte de virgule. Ils sortent alors des œufs, et on peut voir leurs petites pattes apparaître. Puis, la queue disparaîtra, et ce sont de toutes petites grenouilles miniatures qui sortent alors de l'eau.
Cette rapidité de développement des embryons dans les œufs dépend de l'espèce et de la température de l'eau. Au début, à la sortie de l’œuf, les têtards s'accrochent à la végétation environnante et utilisent leurs réserves. Puis, ils se déplacent à la recherche de nourriture. À ce stade, les pertes sont très nombreuses, car ils constituent une ressource alimentaire primordiale pour beaucoup d'autres habitants aquatiques.
Les crapauds eux, pondent des chapelets d’œufs, comme des grands fils accrochés dans les plantes aquatiques. L'alyte accoucheur lui, a des mœurs différentes : il a une reproduction entièrement terrestre et les mâles portent les chapelets œufs enroulés sur son dos. Ce n'est que lorsque les œufs sont prêts à éclore qu'il ira les déposer dans une zone aquatique.
Les urodèles :
Alors que les grenouilles et crapauds perdent leurs queues en devenant adulte, les urodèles eux la conserve. Nous parlons des tritons et des salamandres. Ceux-ci souvent moins connus.
En phase terrestre, les tritons sont discrets et nocturnes. On les rencontre parfois en soulevant une souche, parfois cachés sous un caillou ou encore un tas de feuilles mortes... ils se
faufilent aisément dans le moindre trou du sol. En phase aquatique, on peut les voir au fond de l'eau, immobiles où se déplaçant en marchant.
La ponte des œufs exige un travail méticuleux, chaque œuf étant déposé individuellement sur une plante aquatique, la femelle pondra de 100 à 300 œufs environ, ce qui peut prendre un certain
temps.
Eux aussi sont de redoutables prédateurs, de grosso modo tout ce qui est plus petit qu'eux.
Les salamandres, elles, sont très terrestres et ne retournent presque plus dans l'eau une fois adulte. Elles sont typiquement forestières et vivent dans les forêts d'arbres feuillus, cachées dans les souches, sous terre ou sous les tas de feuilles. Au crépuscule, elles sortent furtivement de leurs cachettes et partent en chasse, surtout quand le climat devient humide. Comme leurs mouvements sont lents, elles ne peuvent attraper que des animaux lents comme les lombrics, les petites limaces, les minuscules escargots et les larves. Elles vivent près des cours d'eau ou des mares peu profondes là où elles retourneront y déposer leurs larves. Car les salamandres, ovovivipares ou vivipares, donnent naissance à des larves miniatures complètement formées, le stade larvaire se passant à l'intérieur de la mère. Le nombre d'individus produit est donc très limité, quelques dizaines seulement. Ces nouveau-nés possèdent trois paires de branchies plumeuses en arrière de la tête, qui leur permettent d'absorber l'oxygène dissous dans l'eau. Trois mois plus tard, les petites salamandres, munies de poumons quittent définitivement le milieu aquatique. Dans le cas de la salamandre tachetée, la plus connue et la plus répandue, chaque tâche est unique. Il y a autant de combinaisons de couleurs qu’il existe de salamandres.
Rôles des amphibiens
Ils jouent un rôle clef important dans les écosystèmes en tant que proies et prédateurs, quel que soit leur stade de développement. Ils consomment de grandes quantités de petits animaux comme des insectes, dont les moustiques et des invertébrés, se chargeant de réguler les populations de manière très efficace. Les poissons, les larves de libellules et de certains coléoptères aquatiques, les serpent et tortues aquatiques, les oiseaux, le putois, la loutre, le rat surmulot, mais aussi renards et blaireaux sont de grands consommateurs d'amphibiens, notamment lors des rassemblements printaniers.
De par leur sensibilité très importantes aux polluants présents dans l'eau, les amphibiens sont considérés comme des bio-indicateurs de la qualité des eaux.
Les menaces pesant sur les amphibiens :
Les menaces pesant sur les amphibiens sont nombreuses et variées. L’équilibre des populations de chaque espèce a subi de grandes perturbations au cours des dernières décennies. Ceci est lié aux modifications profondes des méthodes agricoles (engrais, pesticides), d'exploitation des forêts et aux suppressions des haies de bocage, à la disparition des zones humides, l'urbanisation grandissante, à l’introduction d’espèces exotiques envahissantes, la collecte excessive pour le commerce de nourriture et d’animaux de compagnie au développement de maladies virales et mycosiques, et aux pollutions présentes dans l'eau de manière générale.
Entre un tiers et la moitié des amphibiens sont gravement menacés. Dans le monde, 120 espèces connues auraient déjà disparues.
La perte de l'habitat.
La perte et la dégradation de leurs habitats sont, sans nul doute, les premières menaces auxquelles ils doivent faire face, en France comme dans le monde. Comme les amphibiens ont besoin d’habitats terrestres et aquatiques pour survivre, ils sont d'autant plus vulnérables à la modification des environnements naturels. Cela concerne en priorité leur espace de prédilection pour leur reproduction : les zones humides. Bien qu'elles ne recouvrent plus que 3 % du territoire métropolitain, les zones humides hébergent un tiers des espèces végétales menacées ou remarquable, la moitié des espèces d'oiseaux et la totalité des espèces d'amphibiens et de poissons.
Ces milieux dont le sol se gorge d’eau une bonne partie de l’année rétrécissent comme peau de chagrin : mares, marais, tourbières, prairies humides, forêts marécageuses, zones humides, landes, eaux de surface, ornières, mares, fossés… On estime que 87% de zones humides mondiales ont disparu depuis la fin du 19ème siècle, et c'est, chaque année en France, plus de 10 000 hectares asséchés en plus (soit l'équivalent d'une zone de 100 km2).
L’avancée de l’urbanisation, la construction de routes, les remblais, les drainages et les pompages agricoles notamment causent ces modifications d'habitats. Or, s’ils ne trouvent pas d'eau adapté, pas de reproduction.
Zoom sur les zones humides temporaires :
Les zones d'eau temporaire sont aussi nécessaires pour plusieurs espèces d'amphibiens. Il s'agit de zones qui se remplissent d'eau à certains moments, avant de s'assécher naturellement, comme des ornières, des fossés etc. Pour simplifier, on peut dire qu'il existe deux stratégies de reproduction : une partie des espèces jouent la carte de la sécurité en choisissant des plans d'eau permanents. Pas de risque de sécheresse et le nombre de descendant est à peu près stable chaque année. Ils doivent par contre faire face à de nombreux prédateurs, surtout des poissons. D'autres ont adopté une stratégie plus risquée, en choisissant les zones humides temporaires. Pas de prédateurs aquatiques, une descendance abondante, mais entièrement perdue en cas d'assèchement trop tôt.
Les espèces qui ont choisi la stratégie à risque ne peuvent pas passer à l'autre stratégie, car elles sont adaptées à leur environnement (crapaud calamite, sonneur à ventre jaune, rainette verte et rainette italienne). C'est pourquoi elles sont particulièrement touchées par la perte des eaux temporaires dans le paysage.
Au niveau terrestre, ce sont les politiques forestières et d'aménagement du territoire qui présentent des dangers. Localement, des atteintes aux habitats peuvent avoir des répercussions négatives sur les populations. Ainsi, l 'écobuages des talus, l’asséchement d'une mare ou son empoisonnement, le débroussaillage estival, les coupes rases en forêt ou la rénovation de vieux murs sont des exemples d'actions qui peuvent être létales pour un grand nombre d'animaux si des précautions ne sont pas prises en amont.
La pollution :
La perméabilité de la peau des amphibiens les rend très sensible aux pollutions, de l'eau et de la terre. Les agents polluants chimiques, surtout dans les bassins où les têtards se développent, provoquent de nettes hausses de mortalité, ainsi que l’apparition de malformations et de stérilité chez les adultes. Il en est de même avec les polluants atmosphériques.
Les pollutions sonores (surtout du trafic routier) participent également à l’affaiblissement du système immunitaire par stress chronique, notamment pendant les périodes de chant.
L'introduction d'espèces invasives :
Plantes, poissons, reptiles, amphibiens...Ce sont des espèces introduites par les hommes dans des endroits du monde où elles ne sont pas toujours originaires. Elles perturbent alors parfois de manière importante les équilibres naturels.
C'est le cas de la grenouille taureau par exemple, originaire des Etats-Unis, qui a été introduite volontairement en France. Elle peut atteindre 700g chez nous, c'est à dire beaucoup plus que le plus gros des crapauds métropolitain (elle tire son nom non pas de sa taille mais de ces cris qui rappellent le meuglement des bovidés). Elle fait preuve d’une grande voracité (poissons, lézards, poules d’eau, tortues, chauve-souris, autres grenouilles...) et accentue en certains endroits les pressions existantes sur les autres espèces. Elle est également porteuse saine d'un champignon pathogène, que nous verrons un peu plus bas. Ce n'est malheureusement pas la seule espèce introduite par l'homme dans les milieux humides.
Maladies :
Les amphibiens du monde entier sont touchés par un champignon décomposeur de matière morte, appelé Batrachochytrium dendrobatidis. Il est capable de décomposer les substances cornées de la peau des amphibiens et provoque la mort. Il a été découvert en 1998 en Amérique Centrale et en Australie où des espèces entières ont disparues. Présent naturellement dans certaines régions du globe (Corée, Asie du sud-est), sa dispersion dans le monde a provoqué des hécatombes de populations et d'espèces. Les commerces internationaux d'animaux d'élevages sont la cause principale de la dispersion ce se champignon (il semble avoir été introduit dans différents pays via des animaux de laboratoires importés d'Afrique du Sud, sur une espèce, Xenopus laevis, utilisée alors comme tests de grossesse et comme animaux de laboratoires. Comme la grenouille taureau mentionnée précédemment, la xénope du cap est porteuse saine de ce champignon).
Quand il se développe (habituellement dans des habitats d'eau douce), on peut s'attendre à voir disparaître 50% des espèces et jusqu'à 80% des individus dans l'année. Il ne peut pas être stoppé et persiste même pendant une période encore indéterminée après la disparition des amphibiens. Les scientifiques estiment à l'heure actuelle que les espèces les plus sensibles ont déjà disparues, et que le espèces restantes développent une meilleure résistance.
Une souche différente, batracchochytrium salamandrivorens s'attaque seulement aux salamandres tachetées. Au Pays-Bas, 96 % des populations ont disparu en 3 ans seulement, de 2010 à 2013.
Utilisations humaines diverses
Beaucoup d’espèces d’amphibiens sont capturées et vendues dans le monde pour alimenter le marché alimentaire, pharmaceutique et comme animaux de « compagnie ». La récolte de beaucoup de ces espèces est illégale, et engendre des trafics lucratifs. Ce n'est que peu le cas pour les espèces française, mais je tenais à faire un petit point sur les cuisses de grenouilles, la France en étant un gros consommateur. La majeures parties (99%) des cuisses de grenouilles présentes dans le commerce ou dans le restaurant provient de grenouilles d’importation (Chine, Indonésie, Turquie, pays de l'Est), provenant majoritairement de récolte de grenouilles sauvages... L'UE est le plus gros importateur mondial de cuisse de grenouille, mais aucune mesure n'a été prise pour garantir la « durabilité » de ce commerce (entre 2011 et 2020, l'UE a importé l'équivalent de 815 millions à 2 milliards d'individus). Aucune transparence n'étant présente sur ce commerce, 98% des espèces de grenouilles vendues comme appartenant à une espèce ne le sont pas après vérification par des études ADN. Par exemple, parmi ces espèces identifiées, 58 sont menacées d'extinction et 10 en danger critique d'extinction. Sans oublier le coté éthique de la chose, les grenouilles n'étant pas tuées avant l'arrachage des pattes.
De nombreux amphibiens sont vendus dans les magasins animaliers ; et certains payent très cher pour des grenouilles aux couleurs vives et brillantes, dont bon nombre de spécimens sont prélevés directement dans la nature. Le danger lié à la détention de NAC vient également de la diffusion de maladies aux espèces locales lors de libération d'espèces exotiques.
Infrastructures routières
Revenons-en à l'objet initial de cet article, à savoir, les migrations printanières (et automnales) des amphibiens et les dangers qu'ils courent à ce moment-là.
La fragmentation des habitats naturels des amphibiens survient quand les zones d’habitat deviennent isolées les uns des autres, lorsqu'une aire boisée est entourée de terrains agricoles par exemple et de routes. En plus de fragiliser les populations par manque de contact, lors des migrations, il faut bien traverser ces routes. Les individus reproducteurs doivent passer à l'aller et au retour dans des zones où leur sécurité n'est pas assurée. C'est le cas pour les traversées de route. Lorsque les lieux de ponte ne sont plus accessibles à cause par exemple d’un muret, cela peut parfois suffire à faire disparaître une population entière. Rappelons que les amphibiens sont des animaux au rythme lent, très lent si nous les comparons à la vitesse à laquelle nous avons pris l'habitude d'évoluer. Les grenouilles ne vont pas avoir le temps de « courir » pour échapper à une voiture ou de sauter haut au-dessus d'un muret.
Afin d’éviter cette mortalité sur certains secteurs, des systèmes pérennes comme des crapauducs (passages busés en béton qui passent sous la route) peuvent être construits. Des solutions plus ponctuelles sont également mises en place par de nombreuses associations : les crapaudromes. Sur les routes où sont répertoriées des passages de migrations, des filets sont installés, parfois sur des centaines de mètres, agrémentes de sceaux enterrés de façon régulière. En longeant l'obstacle, les amphibiens tombent dans les sceaux. Au petit matin, des bénévoles viennent vérifier chacun de ces sceaux et libèrent alors les amphibiens de l'autre côté de la route. Ce sont des milliers de crapauds, grenouilles, tritons et salamandres qui rejoignent ainsi en sécurité le point d'eau où ils sont nés.
Cette liste de menaces n'est pas là pour nous alarmer ou nous déprimer mais pour nous montrer où est-ce que nous pouvons agir : travailler à protéger et restaurer les zones humides, faire attention sur la route et en parler autour de nous, donner un coup de mains pour les aider à traverser, adapter les travaux au jardin de manière plus respectueuses, remettre plus de zones naturelles et humides au jardin, sensibiliser autour de nous sur l'origine des grenouilles qui sont mangées et détenues en captivité par exemple.
Statut de protection :
Toutes les espèces d'amphibiens sont protégées sur le territoire métropolitain. Leur manipulation est donc interdite sans autorisation préfectorale. Deux espèces sont cependant encore autorisées à la chasse : la Grenouille verte (Rana esculenta) et la Grenouille rousse (Rana temporaria). En revanche, leur commercialisation est interdite. Un pêcheur pourra donc en faire une consommation personnelle mais ne pourra pas les vendre (dans le cas d'élevage, une autorisation préfectorale est accordée).
« Art 1 : Sont interdits : la destruction ou l’enlèvement des œufs ou des nids, la destruction, la mutilation, la capture ou l’enlèvement, la naturalisation des amphibiens et des reptiles suivants ou, qu’ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente, leur achat. »
Si vous œuvrez pour une association, la demande peut être effectuée nommément par la structure, pour les bénévoles concernés.
Comment participer à aider les amphibiens :
Premièrement, la conscience de leurs périodes de migrations, aux premières pluies de redoux de fin d'hiver et aux pluies d'automnes lorsqu'il fait encore doux la nuit. À ces moments-là, une vraie vigilance sur la route permet de les éviter au mieux. Les migrations ont souvent lieux massivement. Si vous croisez un crapaud sur la route, vous en croiserez certainement d'autres sur le tronçon, le mieux est alors de leur faire traverser la route. N’oubliez pas de porter des gants fins en latex, ou d'avoir toujours les mains humides pour les toucher afin de ne pas abîmer leurs peaux sensibles. Attention aussi aux restes de crèmes cosmétiques ou de savon que vous pourriez avoir sur les mains. Vous ne craigniez rien à toucher les crapauds, c’est plutôt l’inverse. Le poison dont peut être enduit leur peau est parfaitement inefficace au contact pour les humains.
Deuxième point : la mise en place de crapauducs. De nombreuses associations œuvrent pour mettre en place des filets de protection le long des routes les plus fréquentées par les amphibiens durant les migrations. Des sceaux sont enterrés tous les 10m, ainsi, en longeant l'obstacle, ils tombent dans les sceaux. Des bénévoles vident alors les sceaux tôt les matins en leurs faisant traverser les routes. C'est peut-être un peu cocasse, mais ce sont ainsi des milliers d'amphibiens qui sont épargnés à chaque printemps. Le mieux à faire est de vous rapprocher de ces associations si vous souhaitez vous aussi participer. Vous aurez en plus la chance de pouvoir observer de près des animaux qu'on ne voit quasiment plus depuis une décennie. Vous apprendrez aussi les bonnes pratiques pour les manipuler. Des associations regroupent également les observations de batraciens écrasés, cela permettant de mettre en place, les années suivantes, ces systèmes. N'hésitez pas à en parler à vos élus.
Troisième point : avoir un jardin attractif pour les amphibiens :
Un bon jardin pour les batraciens, c'est un jardin avec une zone humide bien-sûr mais aussi des endroits où ils peuvent vivre le reste de l'année, riche en milieux variés et favorisant ses proies (insectes etc.). Ils ont en outre besoin de gros tas de feuilles mortes, de branchages, de creux, de murs en pierres sèches à cavités humides pour leur stase hivernale et pour se cacher la journée. Ne sous estimez pas ce point. Il faut également laisser des zones de « trafic », des zones de déplacement non tondus et aux abords des haies pour qu'ils puissent se déplacer.
Nous pouvons noter que de nombreuses morts sont à déplorer lors des phases d'entretiens du jardin. Difficile pour une grenouille, un crapaud ou un triton de sauter ou de marcher plus vite que votre tondeuse, rotofile, coupe barrière, tondeuses robots etc. Le bruit de ces appareils ne suffit pas à les faire fuir et leur déplacement est très, très lent, si nous les comparons à la majorité des autres animaux. Prenez toujours le temps de remuer les herbes pendant un moment avant de les couper. Il en de même pour déplacer les tas de feuilles ou de bois. Le mieux est simplement d'attendre le redoux définitif du printemps avant de les bouger. Nous sommes ainsi assurés que grenouilles, crapauds et tritons sont sortis de leur stase hivernale. Attention aussi de ne pas retourner le compost en hiver car c’est une très bonne cachette hivernale.
Créer des zones humides est bien-sûr l'étape indispensable pour attirer à coup sûr des batraciens dans votre jardin. Et pour cela, pas besoin d'un vaste étang. De petits trous d'eau peuvent déjà faire venir quelques espèces. Toutes ont des besoins différents et celles qui se présenteront dans une vaste étendue ne seront pas les mêmes que dans un trou d'eau de la taille d'une gamelle. Cependant, des tous petits trous, s'inspirant des trous d'arbres creux remplis d'eau en forêts sont déjà des écosystèmes viables pour certains. Alors si la mise en place d'un bassin ou d'un étang n'est pas possible, privilégiez pleins de petites zones humides ! Un ancien bac à sable, un ancien évier recouvert d'une toile étanche... tout est possible. Vous trouverez sur internet ou dans les livres de nombreux exemple de marres naturelles et de points d'eau qui raviront bon nombre d'animaux aux alentours.
Attention toutefois à ne pas mettre de poissons dans ces bacs à batraciens. Les poissons sont de grands mangeurs d’œufs et de têtards. Sur de petites surfaces, poissons introduits et batraciens ne font pas bon ménage. A l'état naturel, le conflit entre les amphibiens et les poissons est grave dans les plans d’eau originellement dépourvus de poissons, ou ils ont été relâchés pour la pêche, ou en relâche d'animaux domestiques. A ce titre, l'introduction d'espèce non-indigène comme les poissons rouges, dans un plan d'eau naturellement sans poissons, est une menace pour les populations locales d'amphibiens.
Quatrième point : la neutralisation des pièges.
De nombreux aménagement humains se révèlent être des pièges mortels pour l'herpétofaune (reptiles et amphibiens). Par exemple les bassins de rétention d'eau où les bâches trop lisses empêchent tout animal de remonter. Les regards d'eau, de gaz ou d 'électricité, les puits de drainage, les trappes d'aération des caves etc. Les animaux tombent dans les grilles et ne peuvent plus remonter. Quelquefois, un aménagement simple permet aux animaux de ne plus tomber ou de ressortir tout seul. Il existe des sortes de grillages à fin treillis qu'il est possible de poser dessus, afin que les animaux ne tombent pas. De simples rampes ou des échelles suffisent également à ce que les animaux puissent remonter. N'oubliez pas que les amphibiens, comme tous les autres animaux peuvent mourir noyés s’ils ne peuvent pas ressortir de l'eau. Tout point d'eau doit avoir une zone où il est possible de remonter, que ce soit grâce à une échelle, ou à une zone accessible pour les petits animaux.
Si vous trouvez des amphibiens coincés, aidez-les en les sortant de ce piège et en les relâchant dans un endroit protégé des environs immédiats (ex. sous un buisson, sous un tas de bois ou de feuilles, etc.). Les animaux ne doivent pas forcément être remis directement dans un plan d’eau ou dans la forêt (rappelons que les amphibiens passent une bonne partie de l’année sur la terre ferme), car ils ont un bon sens de l’orientation et seraient perdus si on les relâchait dans un endroit qu’ils ne connaissent pas. Il faut ensuite sécuriser la zone où vous l'avez trouvé.
En hiver par contre, les amphibiens ne doivent pas forcément être relâchés immédiatement à l’extérieur. Si l’endroit où l’on a trouvé le spécimen est à l’abri du gel et du vent, il est alors plus sensé de mettre en place une aide pour la sortie, de façon à ce que les animaux puissent sortir par eux-mêmes après l’hibernation. Si cela n’est pas possible et que des températures inférieures à 5 °C persistent, vous pouvez les mettre dans une boîte avec de la mousse humide, du bois humide (écorce, copeaux de bois, branches, …) ou des feuilles. Attention à bien percer le couvercle fermant cette boîte, de façon à permettre à l’air de circuler. Il est extrêmement important que la boîte soit laissée dans un endroit frais jusqu’à la remise en liberté (ex : une cave non chauffée). Il ne faut prendre en aucun cas ces animaux avec soi dans une pièce chauffée, le but étant toujours de les relâcher dès que possible dans leur milieu naturel. Ainsi dès que les températures extérieures dépassent les 5 °C, on peut les remettre dans un endroit protégé des environs immédiats (ex : sous un buisson, sous un tas de bois ou de feuilles, etc.).
Dans votre jardin également, il est recommandé de chercher activement toute sorte de piège pour la petite faune qui peut passer inaperçu.
Je vous conseille l'excellente fiche « protection des amphibiens devant notre porte » que vous pouvez télécharger sur le site infofauna.ch (voir le lien dans la rubrique ressource).
Création d'une mare ou d'un plan d'eau au jardin.
Les batraciens sont de grands amis du jardin et du jardinier. Ils se délectent de petits insectes, en particulier de moustiques et de mouches mais aussi de chenilles et de vers. Avoir une mare naturelle même petite ou en créer une, c’est le must pour inviter un batracien.
La variété des espèces d’amphibiens qui colonisent le point d'eau va dépendre du type de plan d’eau, de l’abondance des structures, ainsi que de la température et de la profondeur de l’eau. La durée pendant laquelle l’eau va rester dans l’étang est également un facteur très important. Plus elle sera grande, plus la diversité d’espèces possible devient grande. Mais un trou d'eau de la taille d'un évier peut déjà permettre à quelques espèces de vivre chez vous. N'hésitez pas à multiplier ces espaces aquatiques, mêmes petits. Vous trouverez sur internet et la littérature spécialisée moult conseils pour la création de points d'eau naturels.
Voici quelques conseils :
Soyez créatifs, tant que le fond est imperméabilisé. Si votre sol n'est pas assez argileux, l'ajout d'une bâche peut s'avérer nécessaire.
Pensez à prévoir un léger dénivelé et des variations de niveaux. Cela peut être de mettre des pierres dans le fond par exemple, et pensez à des rampes d'accès. Coté exposition, mi-ombre c'est bien, mais faites comme vous pouvez et adaptez ensuite.
Si vous n'avez pas de volonté précise sur les plantes que vous souhaitez dans le point d'eau, le mieux est encore de laisser faire la nature avec les plantes qui s'installeront toutes seules. Si rien ne pousse, évitez les espèces invasives de type papyrus, myriophylle du Brésil ou certains nénuphars (les Nymphoides peltata par exemple). Vous pouvez déposer une fine couche de substrat sur le fond ce qui favorisera l'enracinement.
Essentielle, la flore d'une mare permet aux animaux de s'abriter, tout en attirant un cortège d'insectes intéressants à la fois pour le jardinier et l'amphibien.
Comme nous l'avons précisé, il est interdit de déplacer des amphibiens, adultes ou sous forme d’œufs. Ils viendront tout seul, et souvent très rapidement, pas d'inquiétude. Et pour fidéliser un amphibien, il faut penser à la mauvaise saison et multiplier les abris près de l'eau, qu'il s'agisse de tas de branches, de pierres, de feuilles...
Et surtout, ne pas introduire de poissons. Les poissons sont de grands prédateurs d’œufs d'amphibiens et ils ne feront pas bon ménage. Si vous souhaitez des poissons et des amphibiens, vous le pouvez si la taille du bassin est assez grande et que vous réalisez une zone spéciale nurserie, à l'abri des poissons. Cela peut être une zone moins profonde, séparée par des pierres qui empêchent les poissons de passer.
Notons que le Crapaud commun est le moins vulnérable face aux poissons. En raison de son goût et de sa toxicité, les œufs, les têtards et les adultes ne sont guère appréciés des poissons.
Une marre est un endroit regorgeant de vie, et absolument fascinant à observer. J’espère que vous prendrez un grand plaisir à cette réalisation.
À savoir : Quelle que soit la surface de la mare à créer, vérifiez que vous en avez le droit. La création d’une mare ne peut se faire qu’avec autorisation du maire de votre commune. Par exemple, il peut y avoir interdiction de créer une mare à moins de 35m des points d’eau utilisés (sources, forages, puits, etc.) et à moins de 50m des habitations. Renseignez-vous auprès de votre mairie.
Florelle Antoine
Ressources :
– https://www.infofauna.ch/fr/services-conseil/amphibiens-karch/les-amphibiens/habitats#gsc.tab=0
– https://auvergne-rhone-alpes.lpo.fr/wp-content/uploads/01-mare-naturelle.pdf
– https://www.infofauna.ch/fr/services-conseil/amphibiens-karch/questions-reponses/amphibiens-dans-soupiraux-ou-puits-de-lumieres#publications&gsc.tab=0
– https://www.lpo.fr/la-lpo-en-actions/mobilisation-citoyenne/refuges-lpo/tutoriels/comment-realiser-un-dispositif-anti-noyade