Le lierre et l'abeille
L'automne arrive ! Vers la fin du mois d’août, les dernières fleurs sauvages encore ouvertes fanent, les feuilles des arbres commencent à changer de couleur et à tomber doucement. C'est un temps
de disette pour les insectes qui se nourrissent de nectar.
Toutes les fleurs ? Non, car c'est à ce moment-là que le lierre choisit d’offrir le plus beau spectacle de sa floraison aux senteurs de miel si prononcées.
Cet été, j'ai abordé quelques points sur la vie du lierre. Les « plusieurs vies » devrait-on dire, tant sa vie au sol est différente de celle lorsqu'il commence à grimper (nous verrons ce point
au printemps) ou de celle lorsqu'il fleurit et fructifie.
Rappelez-vous, la première partie de sa vie commence au sol, où il va ramper, parfois pendant des décennies. Un beau jour, grâce à une trouée de lumière, il commencera sa longue ascension,
jusqu'à ce que la lumière qui lui parvient à travers les feuilles des arbres soit suffisante pour amorcer sa troisième et dernière vie : celle de sa floraison et de sa fructification.
Des feuilles métamorphes !
Le feuilles du lierre sont persistantes, c'est à dire qu'elles ne tombent pas en hiver, contrairement à celles des arbres feuillus. L'automne est pour lui une aubaine, il se retrouve alors gorgé
de lumière ! Sauf que cette avalanche de lumière est tellement éblouissante que les feuilles se retrouvent comme paralysées. Celles-ci n'avaient connues que l'ombre profonde des sous-bois
auparavant. Imaginez-vous avoir vécu toute votre vie dans le noir pour être soudainement exposé à la lumière du jour. Ses feuilles mettront plusieurs mois à se remettre du choc et à se réparer.
Une fois que c'est le cas, elles pourront alors démarrer leur activité à toute bringue dès le mois de janvier, bien avant que les arbres commencent à remettre leur manteau de feuilles.
Ses feuilles ont une durée de vie d'environ 3 ans, il va donc falloir qu'elles résistent à deux longs hivers minimums. En septembre, tout commence donc pour affronter les frimas de l'hiver. Dès
que les nuits rafraîchissent un peu, les feuilles se mettent à accumuler plusieurs substances qui vont agir comme un antigel naturel puissant (des protéines, 5 à 6 sucres différents, des pigments
particuliers). En augmentant progressivement les doses, il pourra résister à des températures de -25 degrés au cours de l'hiver ! Passé cette limite, le lierre gèlera. C'est ce qui fait
qu'on n’en retrouve pas dans le nord de l’Europe et en Russie, ni au-delà d'une certaine altitude en montagne.
Une fois que lierre a grimpé assez haut pour recevoir assez de lumière, il va également changer la forme de ses feuilles qui vont devenir ovales et pointues, plus épaisses qui vont devenir « des
feuilles de lumière ».
Il va alors fabriquer de véritables petites branches, là où ses précédentes tiges, très souples ne se soutenaient pas toutes seule. Ces petites branches sont capables de se porter et de tenir
toute seule. Il va les allonger et les renforcer un peu plus chaque année de quelques centimètres. Et il en faut du renfort pour porter la floraison et la fructification exubérante du lierre !
Tout cela pèse son poids.
Des fleurs aux senteurs de miel
C'est donc en automne, en septembre / octobre que lierre fleurit, d'une quantité vertigineuse de fleurs, au moment où il n'y a plus de ressource alimentaire disponible. Une véritable aubaine pour
tous les insectes mangeurs de nectar. On dénombre plus de 200 espèces d'insectes qui viennent profiter des largesses du lierre ! D'ailleurs, pour observer les insectes, les fleurs du lierre sont
des endroits formidables. Les fleurs sont disposées en ombelles, par petites équipes de quelques dizaines, regroupées comme des aiguilles sur une pelote. Chaque fleur est composée de cinq
pétales, de 5 étamines (les parties mâles) et d'un pistil (partie femelle). Pour que le lierre ne se féconde pas lui-même, les parties mâles et femelle ne rentre pas en service au même moment,
tout simplement (en plus de sorte de « verrous » qui sélectionnent le pollen autorisé à entrer). Les étamines vont fournir une quantité impressionnante de grains de pollen (estimation faite qu'un
lierre âgé d'une trentaine d'années met chaque jour à la disposition des insectes entre un et deux milliards de grains de pollens) là où le pistil fournit un nectar terriblement sucré, dont les
insectes sont fous. C'est une véritable cohue sur les fleurs du lierre ! Ce nectar est rapporté illico dans la ruche, dans le cas des abeilles domestiques, pour se faire transformer en miel.
C'est bien grâce au lierre que les abeilles domestiques peuvent stocker juste avant l'hiver jusqu'à trois kilos de miel de lierre par ruche, leur permettant d’assurer de la nourriture jusqu'au
printemps. De quoi affronter les froidures de l'hiver en toute sérénité.
Fait intéressant : de par leur morphologie et celle de la fleur du lierre, ce ne sont pas les abeilles qui pollinisent le lierre. Parmi toutes les espèces de diptères qui butinent le lierre,
c'est aux guêpes que revient cet honneur. Ce sont elles qui assurent la pollinisation du lierre ! (elles transportent énormément de pollen, parfois jusqu’à 40 fois plus que d'autres
diptères)
Bref, ce lierre est un grand aimé des insectes. Une abeille porte même son nom : la colette du lierre.
L’abeille du lierre
Cette petite abeille sauvage est bien souvent confondue avec l’abeille domestique, à qui elle ressemble comme deux gouttes d'eau. C'est une abeille solitaire qui ne vit pas en colonie. Elle
creuse des petites galeries dans les sols meubles et sableux, agrémentés de petites chambres. C'est là qu'elle y déposera ses œufs, remplissant la cellule de bouillie faite à partir de pollen et
de nectar de lierre mélangé. Car la colette du lierre se ravitaille presque à 100 % des fleurs du lierre et nourrit ses larves avec une bouillie faite exclusivement de nectar et de pollen issu
des fleurs de lierre. Elle a en effet complètement décalé son cycle de vie pour être en phase avec celui de cette plante. Elle attend ainsi patiemment le début du mois de septembre pour sortir de
la petite galerie souterraine où sa mère l'avais déposée 10 mois auparavant. Sa vie adulte est de ce fait très brève, environ 6 semaines. Elle creusera dans ce laps de temps des terriers ou elle
déposera ses œufs.
Les conditions climatiques étant particulièrement difficile pour les insectes en automne, pas facile pour elle. Elle ne va réussir à remplir qu'une douzaine voire une vingtaine de cellules lors
des très bonnes années. Cela donne seulement une vingtaine de petits par an ! De plus, elle ne vit qu'à certains endroits car il lui faut un sol particulier, pas trop dur à travailler, ni
trop sableux. Peut-être aurez-vous la chance de l’observer !
Le lierre à une importance fondamentale dans la biodiversité, et ce, à beaucoup d'égard. Je ne peux que vous encourager à profiter de sa floraison exceptionnelle pour observer les insectes qui
viennent s'y nourrir en abondance.
Rendez-vous cet hiver pour en apprendre plus sur la fascinante vie du lierre grimpant !
Florelle Antoine