Dans cette rubrique, nous vous proposons de poser un regard émerveillé sur les beautés de la nature.
Cette fois-ci, nous allons pour cela parler ce que nous appelons communément les « champignons », que les scientifiques nomment « mycètes » ou « fungis ». Rien qu’en les regardant sous l’angle culinaire (ce que nous faisons le plus souvent), ils offrent déjà une importante diversité et sont source de grandes joies gustatives. Mais quand on cherche à les connaître de manière plus vaste et globale, on s’aperçoit alors ils sont réellement fascinants, et qu’il y aurait de nombreux aspects de leur vivant sur lesquels s’émerveiller. Pour cette fois-ci, nous parlerons de l’invisible réseau de communication qu’ils constituent et verrons qu’ils peuvent contribuer à dépolluer les sols.
On connaît environ 150 000 espèces de mycètes, et les mycologues en découvrent quasiment 1500 par an, de sorte qu’ils estiment leur nombre entre 2,2 et 3,8 milliards ! Pourtant, l’univers des champignons est peu présent dans les consciences, par rapport à celui des animaux ou des végétaux. L’UICN (union internationale de conservation de la nature), qui établit des listes des espèces à préserver, suit 25 000 espèces de plantes, 68 000 espèces d’animaux, etc… 56 espèces de mycélium. Découvrons un peu ces fungis qui ont un rôle fondamental dans notre écosystème, et des capacités proches de super pouvoirs.
Commençons par quelques précisions…
Tout d’abord, les fungis sont considérés comme un règne à part entière depuis 1959. Ils se distinguent donc des végétaux, et ce pour plusieurs raisons. Non seulement ils n’ont jamais la structure racines - tiges - feuilles caractéristique des végétaux, mais surtout ils n’ont pas de chlorophylle et ne peuvent donc pas de faire de photosynthèse pour se nourrir. Egalement les champignons n’ont aucun tissu vasculaire (celui qui achemine la sève), contrairement aux plantes, et leurs membranes cellulaires sont composées de chitine, comme chez les animaux, mais jamais de cellulose, alors que c’est un élément largement dominant chez les plantes, lesquelles, à l’opposé, ne connaissent pas la chitine.
Par ailleurs le mot « champignon » ne concerne en fait que la partie visible des mycètes. Cette partie visible, appelée souvent sporophore, ou plus simplement fructification, est en réalité leur organe sexuel, qui produit les spores (et oui, c’est bien cela que nous mangeons). En dessous, dissimulé à nos yeux, s’étend un réseau insoupçonné qui représente plus de 99,99 % des mycètes. Nous ne voyons donc qu’une infime partie de ce que sont les mycètes. Dans une cuillerée à café de terre forestière, on peut retrouver plusieurs kilomètres d’hyphes : ces filaments sont extrêmement longs et ont un diamètre de 10 à 15 microns, ce qui les rend invisibles à l’œil nu.
Un réseau insoupçonné par notre regard : Le Wood Wide Web
Grâce aux mycètes (plus précisément, cela concerne 3 des 5 groupes majeurs de mycètes), les sous-sols des forêts sont donc un véritable réseau de communication, qu’on appelle réseau mycorhizien. A quoi sert ce réseau sous terrain ?
Il permet principalement deux actions : distribuer des informations et transmettre des ressources.
Pour ce qui concerne la distribution des informations, dans les forêts, on appelle ce réseau le Wood Wide Web (la toile des forêts) ou l’internet des forêts, en référence au World Wide Web d’internet, car l’information y circule en grande quanti-té et de manière accélérée entre les différents acteurs de la forêt. Les composés chimiques qui permettent de communiquer par voie aérienne n’étant pas complètement fiables, les plantes ont tout intérêt à multiplier les façons de transmettre des messages. Pour cela, la plupart d’entre elles s’allient aux mycètes.
Par le réseau mycélien, les fungis offrent un formidable modèle de partenariat « gagnant gagnant » avec les plantes : ils entrent en symbiose avec l’extrémité des racines, ce qui crée entre eux une relation intime qui permet aux plantes et aux arbres d’avoir accès aux nutriments et à l’humidité des sols où elles ne peuvent pas aller avec leurs seules racines. Cela élargit considérablement la zone dans laquelle les plantes peuvent puiser, et renforce leur tolérance à la sécheresse. Par ailleurs, ils produisent de nombreuses substances antibiotiques, qui vont notamment protéger les racines (et pas seulement les racines, puisque c’est à partir d’un champignon produisant une substance anti bactérienne appelée pénicilline que les antibiotiques élaborés pour les humains ont été créés). En retour de ce soutien aux végétaux, les mycètes ne possédant pas la capacité qu’ont les plantes de synthétiser leur propre nourriture grâce à l’énergie solaire, la plante transfère des sucres et des acides gras aux mycètes. Ainsi les deux parties profitent de cette relation.
Dans le saprophytisme, le mycète contribue à l’existence du vivant d’une autre façon, par la décomposition : il digère la matière organique (bois pourris, excréments, pelouse…) et rend les nutriments à la terre, fournissant ainsi aux végétaux les minéraux dont elle a besoin. Dans le parasitisme, il va se nourrir au détriment d’une autre espèce, soit en hâtant la mort d’un hôte malade, soit en absorbant ce dont il a besoin sans aller jusqu’à le tuer. Dans le parasitisme, comme dans les deux autres procédés, et comme dans tous les cycles de la nature, tout est question d’équilibre : en insuffisance il ne régulera pas la population qu’il parasite, en excès il la détruira.
Certaines études montrent que les plantes, y compris les arbres, peuvent transmettre plus que des informations via le réseau fongique : elles peuvent transférer des composés à base de carbone, tels que des sucres, à leurs voisines, via les fils fongiques. Ces transferts de carbone d’une plante à l’autre par l’intermédiaire des mycéliums fongiques pourraient être particulièrement utiles pour soutenir les jeunes plants lors de leur établissement. C’est notamment le cas lorsque ces semis sont ombragés par d’autres plantes et que leur capacité à réaliser la photosynthèse et à fixer le carbone pour eux-mêmes est donc limitée.
Un acteur majeur de l’écologie : les supers dépollueurs ?
Nous l’avons vu, certains mycètes sont spécialisés dans la décomposition d’autres êtres vivants (ou anciennement vivants). Ils possèdent donc une variété particulièrement impressionnante d’enzymes qu’ils peuvent utiliser pour décomposer une grande variété de ressources dont peu ou pas d’autres ne veulent - le fumier de cheval, les feuilles mortes, les animaux morts, etc, afin d’extraire l’énergie et les molécules dont ils ont besoin pour voir. Il se trouve que certains champignons peuvent utiliser les mêmes molécules qui les aident à obtenir de la nourriture pour décomposer les produits chimiques artificiels avec lesquels nous, les humains, avons contaminé l’environnement. Les scientifiques à la recherche de moyens d’éliminer les polluants d’origine humaine de l’environnement ont découvert que certains champignons peuvent utiliser leurs enzymes pour dégrader les hydrocarbures trouvés dans le pétrole brut et l’essence, les métaux lourds, les herbicides, les pesticides, les produits pharmaceutiques, les antibiotiques, les phtalates, les colorants et les détergents.
A noter toutefois que les champignons convertissent la pollution humaine à un rythme beaucoup plus lent que nous ne la créons. Pour accélérer le process, les scientifiques envisagent des modifications génétiques, et explorent également des moyens d’introduire certaines bactéries ou produits chimiques naturels pour rendre les capacités des champignons plus efficaces.
Il y aurait de nombreuses autres choses à dire à propos des champignons : par exemple la force de propulsion des spores des ascomycètes (3000 fois supérieure celle d’une fusée), leurs vertus antibactériennes, anti-allergiques, antiinflammatoires, antioxydantes, leur sensibilité à la musique, leur contribution à la formation des gouttelettes d’eau, ou même la façon dont ils étaient utilisés par certains peuples pour accéder à des expériences spirituelles. Nous espérons que cet article vous donnera l’envie d’en savoir davantage sur ce règne extraordinaire, et que vous dégusterez vos prochains champignons avec tout la gratitude et l’émerveillement qu’ils suscitent.
Hélène Soing