Lorsque nous pensons au mot « abeille » ou « pollinisation », nous pensons à l'abeille domestique, Apis mellifera. Il faut dire que cette abeille, infatigable dans son travail, nous offre parfois un délice sans pareil, le miel. Le développement complet de cet insecte, de la larve à l'adulte, dépend entièrement de ce que lui offre les fleurs : nectar et pollen.
Derrière le mot « abeille », se cache en réalité une variété étonnante d’abeilles sauvages : abeilles tisserandes, charpentières, halictes, mégachiles, colettes, bourdons, ce n’est pas moins de 1000 espèces d'abeilles sauvages et de bourdons en France, qui jouent un rôle tout aussi fondamental dans la reproduction des plantes que l'abeille domestique ! Et derrière le mot « pollinisateur » se cache en réalité des milliers d'autres espèces d'insectes différents.
Les relations entre les fleurs et les insectes sont absolument fascinantes. Des milliers d'années de coévolution, de partenariats incroyables et d'une diversité d'interaction époustouflante. L'observation de la richesse et de la créativité insondable de leurs échanges emplit de joie et nous invite à une fête constante de découvertes. Un ouvrage entier de poésies et d'observations scientifiques serait nécessaire pour en ouvrir les portes !
Nous ne ferons ici qu’un petit tour d'horizon de tous les insectes qui participent activement à la pollinisation des plantes à fleurs.
A l’échelle de la planète, on estime que 90 % des plantes à fleurs dépendent du travail des animaux pour se reproduire, dont une très grande part assurée par les insectes.
Si la pollinisation par les abeilles et les bourdons est la plus connue, beaucoup d'autres insectes assurent également cette fonction. Parmi les milliers d’autres pollinisateurs, on compte principalement les hyménoptères, dont les abeilles, les bourdons (43 espèces), les fourmis, les guêpes, etc…, environ 1000 espèces en France, les diptères dont les mouches, syrphes, moustiques, moucherons, etc…, environ 8000 espèces en France, les coléoptères dont les cétoines, hannetons, etc…, 9600 espèces, ou encore les lépidoptères (papillons de jour et de nuit, environ 5000 espèces). Ça en fait du monde ! Et oui, fourmis, scarabées, coccinelles, moustiques, taons, papillons de nuit assurent également la reproduction des plantes !
Chaque « type » d'insecte ayant des particularités morphologiques adaptées à son style et façon de manger le nectar et/ou le pollen des fleurs (cela peut être la taille de leurs langues par exemple, qui permet de butiner certaines fleurs, et pas d'autres !). Ces particularités en font des pollinisateurs plus ou moins « efficaces » et plus ou moins spécialisés. Et oui, au vu de la diversité des fleurs en termes de forme, de parfum, de taille de texture époustouflante, on ne peut pas en attendre moins de ceux qui sont chargés de récolter et disséminer ce qui assure la reproduction sexuée des plantes : le pollen. Les fleurs sont pourvues de nombreux délices succulents, correspondant aux préférences de chacune de ces petites bêtes.
L’Abeille domestique et le bourdon par exemple vont butiner jusqu’à plus de 100 familles de plantes différentes. Ce qui est énorme ! D’ailleurs, le Bourdon est probablement l’abeille la plus polyvalente, car il est capable de visiter à peu près n’importe quelle fleur (La langue de l’Abeille domestique atteint 6 millimètres ; celle du Bourdon peut mesurer jusqu’à 2 cm, ce qui lui permet d'atteindre les recoins des fleurs les plus profondes). De leur côté, les abeilles à langue courte, dont la langue mesure quelques millimètres, seulement, apprécient les fleurs ouvertes où le nectar est facile d’accès, comme c'est le cas des fleurs de la famille des marguerites par exemples (Astéracées) ou des rosiers et pommiers (Rosacées).
Certaines espèces d’abeilles sont liées plus particulièrement à une famille, ou un genre de fleur pour leur pollen. C'est le cas pour la moitié d'entre elles. Dans de rares cas, des espèces d'insectes dépendent d’une seule espèce de fleur pour son pollen : ce sont des espèces « spécialisées ». Les tomates par exemple, ne peuvent être pollinisées efficacement que par les bourdons, qui sont les seuls à pouvoir faire vibrer ces fleurs pour qu’elles libèrent leur pollen.
Les coléoptères quant à eux apprécient avant tout les fleurs aux odeurs fortes et fruitées offrant des nectars très sucrés. Ils ont une façon disons, plus « rustique » de butiner, en ayant tendance à croquer directement dans les morceaux de fleurs.
Certaines petites fleurs pauvres en nectar, boudées par les autres insectes, ne pourraient pas se reproduire sans l’aide de diptères minuscules.
Par ailleurs, les diptères favorisent généreusement quelques pollinisations croisées comme celles des arbres fruitiers ou du colza (où les syrphes jouent un rôle important). Enfin, les diptères occupent une très large variété de milieux et de conditions climatiques défavorables à d’autres insectes pollinisateurs (altitude, froid...), ce qui leur permet d’atteindre des fleurs qui seraient bien seules sans eux.
Les papillons jouent également un rôle important de pollinisateur, et notamment les papillons nocturnes. Ces noctambules sont, après les abeilles, les champions de la pollinisation, grâce à la longueur de leur trompe. Certaines fleurs s’ouvrent en journée puis augmentent leur production de nectar et de parfum dès que le jour décline : c'est le cas des Tilleuls par exemple, certaines fleurs ont même la particularité de s'ouvrir à la tombée du jour, spécialement pour eux. Un papillon peut d'ailleurs butiner plus de 25 petites fleurs à la minute, soit 2 secondes par fleur. Une belle performance tout de même ! Gageons que les éclairages nocturnes, véritables fléaux pour les papillons de nuit s'arrêtent bientôt, rendant à la nuit la splendeur de la lumière des astres.
De nombreuses menaces pèsent sur tous ces insectes pollinisateurs. Comme nous l'avons vu, certaines espèces d’abeilles ne dépendent que d’un seul type de fleur : si dans une zone la plante disparaît, le pollinisateur disparaît à son tour, comme l’anthocope du pavot, qui a besoin du coquelicot pour tapisser son nid dans le sol. De même, certaines plantes sauvages ou cultivées dépendent d’un seul type de pollinisateur pour leur fécondation.
Au-delà des débats que l'on peut avoir sur le label du bio, c'est à ce jour le seul assurant une nonutilisation de produits provoquant la mort des insectes. Des avancées ont été faites notamment par l'interdiction de certains produits nocifs. Malheureusement, cela est insuffisant, car les ressources de l'industrie chimique sont nombreuses. C'est à nous de faire entendre notre voix sur ce sujet, et nous pouvons agir quotidiennement pour protéger et aider la biodiversité autour de nous.
La présence de pollinisateurs dépend de trois principaux facteurs :
• La possibilité pour les insectes de trouver un habitat
• La disponibilité et la diversité de plantes à fleurs pour se nourrir
• L'absence de pollution
Les activités humaines qui impactent fortement ces facteurs :
• L’agriculture intensive qui contribue à l’uniformisation des paysages et provoque une perte de diversité de la flore : monocultures, disparition des fleurs messicoles, des prairies, suppression des bocages et des haies...
• Le développement de vastes cultures non-pollinifères : blé, vigne…
• L’utilisation de pesticides (insecticides, fongicides, herbicides, etc.)
• L’artificialisation des sols (urbanisation, routes, zones industrielles...) détruit les habitats (70 % des abeilles sauvages nichent dans le sol)
• Les labours et fauches précoces pour les insectes nidifiant dans le sol
• Le changement climatique qui contribue à modifier leurs conditions de vie, avec par exemple une sortie plus précoce de certains insectes, obligés de s'adapter car la floraison dont ils dépendent n'est pas présente
• La concurrence avec les abeilles domestiques dans le cadre de l’apiculture industrielle, qui multiplie les ruches dans une même zone.
Il est encore vrai qu'il y a une plus grande diversité d'abeilles et d'insectes en milieu urbain qu'à la campagne, en raison des monocultures, de l'utilisation des pesticides et des politiques de gestion irraisonnées. Cela devrait nous faire réfléchir...
Comment pouvons-nous aider ?
Les insectes pollinisateurs sauvages permettent aux plantes et aux fleurs de se reproduire et les plantes à fleurs sauvages et cultivées permettent aux insectes pollinisateurs de se nourrir, de se reproduire et d'habiter.
Pour les populations d'insectes restantes, c'est moins de plantes et de fleurs dans les champs, dans les haies, les bordures, les prairies, les jardins, donc moins de ressources alimentaires. C'est aussi moins de diversité de terrains, d'accès à différents types de milieux, de cachettes, d'endroits où construire les nids (arbres morts, tas de branches au sol, trous dans les murs, etc).
Il existe des solutions pour stopper le déclin des insectes pollinisateurs, que nous pouvons facilement mettre en place à notre échelle.
Premièrement, il faut offrir le gîte ET le couvert. Il ne sert à rien de multiplier les ruches ou les nichoirs à abeilles sauvages si elles n’ont rien à se mettre sous la langue. Nous pouvons donc :
• Ne pas tondre à ras l'herbe du jardin. Cela permettra à des fleurs de s'épanouir.
• Laisser pousser les fleurs sauvages. Rien de mieux.
• Faucher plutôt que tondre, et laisser des îlots en libre évolution.
• Supprimer l'utilisation des pesticides et des insecticides.
• Se fournir en plantes sauvages et locales. Le mieux est d’essayer d’offrir aux insectes des plantes mellifères dont l’apparition s’étalera de la fin de l’hiver à l’automne.
• Encourager les prunelliers, le lierre grimpant, les ronces, qui sont des plantes incroyablement mellifères pour les abeilles, et qui lui sont vitales. Ce sont les seules ressources pour elles et d'autres insectes disponibles au moment de l’année ou ceux-ci fleurissent.
• Recréer des habitats en laissant des tas de bois dans son jardin et conserver le bois mort.
• Créer des haies diversifiées, d’origine locale, et sans paillage plastique (c'est un bon endroit ou laisser pousser les prunelliers).
• Créer une mare naturelle. • Aménager des pierriers, murets en pierre sèche...
• Garder des espaces de terre nue. Cela profitera aussi aux hirondelles, qui font face à une pénurie de terre pour construire leur nid...
• Éteindre les lumières. On n’insistera jamais assez là-dessus.
• Et bien sûr, restaurer les milieux naturels et les préserver.
Nous pouvons également tâcher de sensibiliser les élus locaux, que ce soit par l'adoption de fauches tardives, la revégétalisassions fleuries (avec des fleurs locales et adaptées, c'est très important) des espaces publics, la plantation de haires mellifères ou encore la suppression de l’éclairage nocturne par exemple. En plus d'arguments économiques efficaces, de plus en plus de localités s'engagent sur cette voie.
Quid des ruches et des hôtels à insectes ?
Les hôtels à insectes ne ciblent que quelques espèces d'abeilles (tel les osmies). Nous avons vu qu'il y en a des milliers...Il vaut mieux laisser un tas de bois au fond du jardin et les abeilles viendront y faire leur nid.
Quant aux ruches que les mairies ou de plus en plus de particuliers installent ces dernières années, cela favorise et peut créer une concurrence forte entre les abeilles de la colonie (entre 50 à 60 000 individus par ruche) et les abeilles sauvages, qui n'ont plus accès aux ressources alimentaires. Comme le dit le scientifique Frédéric Revers « C'est comme installer un poulailler pour préserver la biodiversité et les oiseaux sauvages".
J'espère que ce bref aperçu du monde fascinant des insectes pollinisateurs vous aura donné envie d'en savoir plus, et de protéger les insectes autour de chez vous ! C'est un spectacle fascinant sans cesse renouvelé d'assister au génie de nature, dans le détail de ce que l'on peut entrevoir des interactions entre les êtres vivants.
Florelle ANTOINE
Sources :
https://pollinisactions.arthropologia.org/webserie-la-pause-biodiv (de nombreuses vidéos disponibles)
https://www.sauvagesdupoitou.com/105/680
https://spipoll-bordeauxmetropole.fr/
https://www.ofb.gouv.fr/les-pollinisateurs
https://www.ecologie.gouv.fr/insectes-pollinisateurs
https://www.pollinis.org/publications/abeilles-sauvages-les-vraies-championnes-de-la-pollinisation/
Vous pouvez également consulter le site https://www.vegetal-local.fr/ si vous souhaitez vous renseigner sur les végétaux locaux qui sont disponibles dans votre régions.